Alors qu’aucun projet de mise en place d’IA ne leur avait été présenté, les élus du CSE ont reçu un courriel les invitant, comme tous les salariés de l’entreprise, à se former sur le sujet. Après avoir demandé une réunion extraordinaire, les élus ont découvert que plusieurs outils d’IA étaient déjà déployés en phase dite « Pilote » en conditions réelles dans certains services.

Face au refus de la Direction de suspendre ce déploiement et de consulter le CSE, ce dernier a été contraint d’engager une première action en justice ​devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Nanterre afin de demander l’ouverture d’une consultation, la suspension du projet sous astreinte et l’octroi de dommages et intérêts provisionnels.

Si la Direction a finalement ouvert une procédure de consultation et n’a pas contesté la nécessité de l’expertise santé, sécurité et conditions de travail votée par le CSE, elle s’opposait en revanche toujours à la suspension du projet. L’employeur ne transmettait par ailleurs toujours pas ni à l’expert ni au CSE les informations nécessaires pour permettre à ce dernier de rendre un avis éclairé, notamment concernant l’impact du projet sur les conditions de travail des salariés. C’est pourquoi le CSE a été contraint d’engager une seconde action en justice, cette fois selon la procédure accélérée au fond, pour demander la communication des informations manquantes et la prolongation du délai de consultation.

 Deux questions étaient posées au juge des référés :

  • l’employeur est-il tenu de suspendre son projet a minima dans l’attente de la décision du juge statuant selon la procédure accélérée au fond sur les demandes du CSE tendant à la communication d’informations et à la prolongation de son délai de consultation ?
  • le déploiement en « phase pilote » de nouveaux outils d’IA impliquant l’utilisation de ces derniers en conditions réelles, au moins partiellement, par l’ensemble des salariés concernés, en amont de la consultation du CSE sur ces nouveaux applicatifs informatiques, s’analyse-t-elle en une mise en œuvre anticipée du projet, en entrave au fonctionnement du CSE et donc manifestement illicite ?

 Le Tribunal judicaire de Nanterre, par ordonnance du 14 février 2025, a répondu à ces questions par l’affirmative et a :

  • enjoint à la société de suspendre le déploiement des différents outils d’IA jusqu’à l’achèvement de la consultation, sous astreinte :
  • condamné la société à verser au CSE des dommages et intérêts provisionnels en réparation de son préjudice caractérisé par l’atteinte à ses prérogatives.

 Cette décision est conforme au principe de l’effet utile de la consultation du CSE :

  • ne pas ordonner la suspension du projet, alors que le CSE a agi en justice pour demander la prolongation de son délai de consultation, a minima jusqu’à la décision du juge, violerait le principe d’antériorité de la consultation du CSE et interdirait au CSE d’être consulté utilement ;
  • ne pas ordonner la consultation du CSE en amont de l’utilisation de nouveaux outils d’IA en conditions réelles ne permettrait pas au CSE de se prononcer sur l’impact de la phase « Pilote » sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés concernés et viderait de sa substance la consultation sur la mise en place du projet dans sa phase définitive, la décision de l’employeur de mettre en œuvre le projet étant déjà implicitement actée de facto dans l’organisation de l’entreprise.

Les élus du CSE doivent donc rester vigilants sur ces questions et ne pas hésiter à exiger le respect de leur prérogatives consultatives dès l’implémentation d’outils d’IA en conditions réelles, même en phase « Pilote », pour que leur avis compte et permette la mise en place d’un projet respectueux de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Le jugement du TJ de Nanterre du 14 février 2025