Actualité juridique
Un accord d’UES n’est pas un accord interentreprises
La Cour de cassation a tranché : un accord d’UES n’est pas un accord interentreprises !
Portée par le Cabinet DELLIEN, la question soumise à la Cour de cassation était importante tant elle était susceptible d’impacter la représentativité des organisations syndicales dans une Unité Economique et Sociale (UES) et, de manière générale, le mécanisme de négociation des accords portant reconnaissance ou révision d’une UES.
Dans les faits, un syndicat représentatif au sein d’une UES était, en cette qualité, et ce depuis plusieurs années, invité à négocier les accords portant modification du périmètre de l’UES.
Au cours de l’année 2020, souhaitant intégrer en son sein deux nouvelles sociétés, la Direction de l’UES informait ses partenaires sociaux du fait que l’accord portant révision de la configuration de l’UES serait, cette fois-ci, négocié conformément aux dispositions des articles L.2232-36 et L.2232-37 du Code du travail, dispositions introduites par la Loi dite « El Khomri » du 8 août 2016.
Selon le premier texte, « un accord peut être négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises entre, d’une part, les employeurs et, d’autre part, les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées ».
C’est l’accord dit « interentreprises ».
Selon le second texte, la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre de cet accord interentreprises s’apprécie « par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés ».
Ainsi, la Direction de l’UES considérait que, pour négocier l’accord d’UES, il convenait d’apprécier la représentativité des organisations syndicales en y additionnant les suffrages obtenus au sein des deux sociétés appelées à intégrer son périmètre.
Et par application de ces textes, le syndicat voyait sa représentativité descendre sous le seuil nécessaire des 10% et, par la même occasion, était exclu de la table des négociations.
Contestant l’application de ces dispositions en ce qu’elles dérogeaient aux conditions de négociation de droit commun, le syndicat saisissait le Tribunal Judiciaire de Nanterre. Première juridiction à statuer sur cette question, le Tribunal lui donnait raison en estimant que sa représentativité initiale ne pouvait être remise en cause par la nouvelle qualification « d’interentreprises » donnée à l’accord d’UES. Il enjoignait en conséquence l’UES à inviter le syndicat à la négociation.
Saisie par les entités composant l’UES, la Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 20 janvier 2022, infirmait entièrement la décision des premiers Juges en considérant qu’un accord d’UES répondait parfaitement à la définition et au régime de l’accord interentreprises : « Négocié entre des entreprises juridiquement distinctes, [l’accord d’UES] constitue un accord interentreprises dans les termes de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et obéit donc au régime des articles L 2232-36 et L. 2232-37 du code du travail ».
Non, répond la Cour de cassation.
Aux termes de son arrêt en date du 6 mars 2024, promis à une large publication, la Haute juridiction casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles.
Après avoir rappelé sa jurisprudence sur les conditions dans lesquelles un accord d’UES doit être négocié et révisé, la Cour de cassation considère qu’un accord d’UES a essentiellement pour objet de définir les garanties sociales des salariés et de mettre en place un Comité Social et Economique selon les règles de droit commun.
Il ne peut donc pas être confondu avec un accord interentreprises qui, pour sa part, vise notamment à régler des difficultés rencontrées par des entreprises sans pour autant remplir les critères de concentration de pouvoir, de complémentarité des activités et d’homogénéité du personnel caractéristiques d’une UES.
Bien que réunissant des entreprises juridiquement distinctes, un accord d’UES n’est pas pour autant un accord interentreprises.
Recevabilité de la preuve déloyale dans le procès civil, revirement de jurisprudence : les preuves déloyales peuvent être soumises au juge, qui procédera au contrôle de sa recevabilité
Le 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu deux arrêts très attendus concernant la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale.
Le premier arrêt concerne l’enregistrement clandestin d’un salarié par son employeur, lors d’un entretien au cours duquel le travailleur avait tenu des propos pour lesquels il avait été licencié. Malgré le caractère déloyal de l’enregistrement, la Cour de cassation admet que ce moyen de preuve soit présenté au juge dès lors qu’il est indispensable pour le justiciable qui le présente – en l’occurrence l’employeur – à faire la preuve de ses droits. Toutefois, la prise en compte de ce moyen de preuve ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (au respect de la vie privée par exemple). La Cour de cassation semble ainsi abandonner son distinguo initial entre preuve illicite (potentiellement recevable après un contrôle de mise en balance au regard du droit à la preuve) et preuve déloyale (en principe toujours irrecevable), afin de mettre en conformité le droit français avec les dispositions et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
Cette solution devrait être appréhendée avec vigilance dès lors que l’employeur pourra présenter des preuves déloyales alors qu’il dispose déjà de moyens de surveillance ou de contrôle bien plus larges que le salarié. Cet arrêt a toutefois l’avantage de permettre réciproquement aux salariés de produire des moyens de preuve déloyaux, pour prouver un harcèlement ou une discrimination par exemple, sous réserve, toujours, du contrôle du juge.
Cour de cassation, Ass. Plen., 22 décembre 2023, 20-20.648
Le deuxième arrêt rendu rappelle qu’indépendamment de la recevabilité de la preuve, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Il s’agissait en l’espèce d’un employeur ayant licencié un salarié pour avoir tenu des propos insultants sur une conversation privée sur Facebook, sur son ordinateur professionnel. Les propos avaient été découverts par un autre salarié qui utilisait son ordinateur. La Cour d’appel avait jugé que l’employeur avait obtenu la preuve des propos du salarié de manière déloyale et illicite, en violation du secret des correspondances, et ne pouvait, à ce titre, s’en prévaloir. La Cour de cassation ne procède pas au contrôle de proportionnalité déjà évoqué, mais, peut-être pour encadrer au mieux son revirement du même jour, se borne à rappeler qu’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvait constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail ; ce dont il résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était insusceptible d’être justifié.
Cour de cassation, Ass. Plen., 22 décembre 2023, n°21-11.330
Communiqué : Usage devant le juge civil d’une preuve obtenue de façon déloyale | Cour de cassation
Barème Macron : Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe recommande à la France de réviser ses barèmes
Dans une recommandation en date du 6 septembre 2023, le comité des ministres du Conseil de l’Europe demande à la France « de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation et les pratiques pertinentes afin de garantir que les indemnités accordées dans les cas de licenciement abusif, et tout barème utilisé pour les calculer, tiennent compte du préjudice réel subi par les victimes et des circonstances individuelles de leur situation ».
Cette recommandation fait suite à la décision du Comité Européen des droits sociaux (CEDS) qui a jugé que la France violait l’article 24.b de la Charte sociale européenne. La motivation du CEDS est d’ailleurs reprise dans la recommandation du Comité des Ministres : les plafonds d’indemnisation prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et ne sont pas assez dissuasifs pour l’employeur. Il était également regretté l’absence de marge de manœuvre des juges dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés dans la mesure où ils ne peuvent prendre en considération les circonstances individuelles de l’affaire et, par conséquent, réparer intégralement le préjudice subi par les salariés.
Bien que non contraignante, cette recommandation constitue un cadre d’action fixé d’un commun accord par les États membres. Elle peut d’ailleurs être invoquée devant les juridictions françaises.
Droit aux congés payés : la Cour de cassation écarte les dispositions de droit français non conformes au droit européen (et moins favorables aux salariés)
Par plusieurs arrêts rendus le 13 septembre 2023, la Cour de cassation se prononce clairement sur la question du droit à congé payé du salarié en arrêt maladie et écarte les dispositions du droit français, moins favorables au salarié, qui ne sont pas conformes au droit européen.
Ainsi, le droit français ne prévoit pas que le salarié en arrêt maladie (hors accident du travail ou maladie professionnelle) puisse acquérir des droits à congés payés pendant cette période (article L. 3141-3 du code du travail), contrairement au droit européen. Le droit français limite également à un an la période de congés payés à laquelle le salarié arrêté pour cause d’accident du travail a droit (article L. 3141-5 du code du travail), contrairement, encore, aux dispositions du droit européen.
Désormais, et pour mettre en conformité le droit français avec le droit européen, la Cour de cassation juge que les salariés arrêtés, et ce qu’elle que soit la nature de la maladie ou de l’accident, voient leurs droits à congés payés ouverts sur la période d’absence. Quant aux salariés arrêtés pour cause d’accident du travail, ils ne sont plus limités aux droits à congés payés à hauteur d’une année.
Enfin, et toujours pour mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union européenne, la Cour de cassation juge que le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé et, ce faisant, écarte la prescription triennale fixée par le code du travail. L’arrêt a été rendu concernant une reconnaissance de contrat de travail, mais cette jurisprudence devrait permettre aux salariés privés d’exercice effectif du droit à congés payés d’étendre leurs demandes au-delà de la prescription triennale.
Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 13 septembre 2023, n°22-17.340
Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 13 septembre 2023, n°22-17.638
Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 13 septembre 2023, n°22-10.529
Communiqué relatif aux décisions rendues par la chambre sociale le 13 septembre 2023
Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 Pourvois n°22-17.340 & 22-17.638 – Chambre sociale
La Cour d’appel de GRENOBLE écarte le barème « Macron » plafonnant les indemnités accordées en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
Saisie d’une demande d’indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse par un salarié justifiant d’une faible ancienneté, la Cour d’appel de GRENOBLE écarte le barème d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du code du travail au motif que les premières études de l’application concrète des barèmes confirment qu’ils ne permettent pas une indemnisation adéquate s’agissant particulièrement des salariés ayant une faible ancienneté.
La Cour retient notamment que le préjudice subi par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi est particulièrement significatif compte tenu notamment de son âge et de ses perspectives d’emploi compromises.
Cour d’appel de GRENOBLE, Ch. sociale Section B, 22 juin 2023, n° 21/03352
Amiante : la Cour de cassation admet que le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d’anxiété est éteint peut obtenir indemnisation d’une atteinte à sa dignité résultant du recours illégal à l’amiante
Dans son arrêt du 8 février 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui avait jugé prescrite la demande de salariés au titre du préjudice d’anxiété mais avait fait droit à leur demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de loyauté, l’amiante ayant continué d’être utilisée en toute illégalité pendant plusieurs années et sans que les employés n’en aient été informés.
Dans son communiqué, la Cour précise qu’il doit être distingué deux types de préjudices, chacun correspondant à un manquement différent de l’employeur :
– Lorsque l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en utilisant une substance toxique autorisée sans mettre en œuvre les mesures de prévention des risques professionnels adéquates, ses salariés peuvent réclamer l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété ;
– Lorsqu’un employeur recourt illégalement à une substance toxique prohibée, commettant ainsi une infraction pénale, son exécution déloyale du contrat de travail porte atteinte à la dignité du salarié, lequel peut alors réclamer la réparation d’un préjudice moral, indépendamment du préjudice d’anxiété.
Revirement de jurisprudence sur l’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur : la victime percevant une rente d’accident du travail peut désormais obtenir une réparation distincte de ses souffrances physiques et morales au titre du déficit fonctionnel permanent
Depuis 2009, la Cour de cassation considérait que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnisait les pertes de gains professionnels, l’incidence professionnelle et le déficit fonctionnel permanent. Autrement dit, une victime d’un accident du travail ne pouvait percevoir une réparation spécifique pour ses souffrances physiques et morales dans la mesure où son déficit fonctionnel permanent était d’ores et déjà indemnisé par sa rente.
Désormais, par deux arrêts rendus en assemblée plénière le 23 janvier 2023, la Cour de cassation considère que la rente versée à la victime ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Les victimes d’un accident du travail peuvent ainsi solliciter, en plus de leur rente, une indemnisation supplémentaire de leurs souffrances physiques et morales au titre du déficit fonctionnel permanent.
Licenciement économique : à défaut d’information personnelle et écrite énonçant le motif économique avant l’acceptation du CSP, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse
La Cour de cassation rappelle que l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle intervient au moment où le salarié signe le bulletin d’acceptation. L’employeur étant obligé d’énoncer la cause économique de la rupture du contrat, il peut le faire dans le document écrit d’information sur le CSP, dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement, ou encore, lorsqu’il ne lui est pas possible d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié du CSP, « dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation ». A défaut, l’employeur est en tort et le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La réforme de l’assurance chômage est adoptée : privation d’indemnités de chômage et présomption de démission pour le salarié considéré par l’employeur en abandon de poste, et procédure prud’homale spécifique
La loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été promulguée le 21 décembre 2022. Désormais, l’article L. 1237-1-1 du code du travail prévoit une présomption de démission du « salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur ». Le salarié est privé en conséquence d’accès aux allocations chômage. S’il entend soumettre à la juridiction prud’homale la contestation de son licenciement, il doit saisir le Bureau de Jugement directement, qui statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
Un salarié qui critique les valeurs de l’entreprise exerce sa liberté d’expression
Un salarié critique et refuse d’adhérer à la politique de l’entreprise et aux méthodes de management de la direction. Son employeur le licencie pour insuffisance professionnelle en invoquant notamment ce motif. La Cour de cassation estime que le salarié exerce ainsi sa liberté d’expression. Elle confirme également que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice de la liberté d’expression du salarié, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.