Dans cette affaire, suivie par le cabinet DELLIEN ASSOCIES, la Cour d’appel de Paris avait jugé que le droit de retrait exercé par un postier au début de l’épidémie de Covid-19 (du 31 mars au 9 avril 2020) était justifié au motif que :

  • dans le contexte sanitaire de la pandémie de covid-19 et d’incertitudes et d’interrogations sur les modes de transmission du virus, le CHSCT avait alerté l’employeur de l’existence d’un danger grave et imminent au sein de l’établissement, plusieurs mesures de prévention n’étant pas appliquées ou ne pouvant être appliquées,
  • les salariés n’avaient pas disposé de masques avant le 8 avril 2020, la distribution de gel hydroalcoolique n’avait été mise en place que le 26 mars et les essuie-mains papier le 10 avril, la distance d’un mètre ne pouvait pas être toujours respectée et l’alerte du CHSCT avait été levée le 10 avril 2020 après que l’employeur avait mis en place des mesures correctives,

Au soutien de son pourvoi, LA POSTE estimait que, dans le contexte de pandémie, le salarié ne pouvait être considéré comme ayant un motif raisonnable d’exercer son droit de retrait si l’employeur justifiait avoir mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel.

Elle reprochait donc à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si elle n’avait pas, compte tenu des connaissances scientifiques et des recommandations nationales de l’époque, mis en œuvre les mesures prescrites par les autorités, si bien que le salarié n’aurait eu aucun motif légitime de croire en un danger imminent pour sa santé et sa sécurité.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt publié du 12 juin 2024, a rejeté le pourvoi de l’employeur en jugeant que :

« Après avoir justement rappelé que l’appréciation de la légitimité de l’exercice du droit de retrait ne consistait pas à rechercher si l’employeur avait commis un manquement mais à déterminer si, au moment de l’exercice de ce droit, le salarié avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, la cour d’appel a estimé que le salarié avait un motif de penser que sa situation de travail présentait un tel danger, sans être tenue de rechercher si l’employeur avait mis en œuvre les mesures prescrites par les autorités gouvernementales au regard des connaissances scientifiques et des recommandations nationales. »

Autrement dit, la Chambre sociale considère que le respect par l’employeur des mesures prescrites par les autorités gouvernementales à l’occasion d’une pandémie, au regard des connaissances scientifiques et des recommandations nationales, n’exclut pas la légitimité de l’exercice de son droit de retrait par un salarié qui justifie d’un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé.

Ce faisant, la Haute juridiction réaffirme sa jurisprudence quant au caractère subjectif de l’appréciation de la légitimité du droit de retrait et désavoue sans ambigüité la doctrine diffusée par le gouvernement pendant la pandémie, selon laquelle : « Dans le contexte actuel, dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer. »

L’arrêt de la Cour de cassation : Cass., Soc, 12 juin 2024, n°22-24.598

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 octobre 2022