Début 2023, une UES regroupant plusieurs magazines a annoncé en réunion au CSE son intention de réorganiser sa rédaction et de licencier 6 salariés. Compte tenu de l’importance du projet sur les conditions de santé, sécurité et des conditions de travail, le CSE a décidé de recourir à un expert habilité pour l’aider à formuler un avis éclairé. La Direction n’a pas contesté cette expertise. Elle a toutefois annoncé qu’elle considérait que le délai au-delà duquel le CSE serait réputé avoir rendu un avis négatif était d’un mois seulement, en vertu de l’article L. 1233-8 du code du travail s’agissant d’un licenciement économique de moins de 10 salariés. Le CSE lui a alors répondu que ce délai ne pouvait être inférieur à 2 mois, une expertise ayant été votée dans le cadre de ce projet important.
Confronté à des difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de son avis, notamment quant aux informations sur l’évaluation de la charge de travail et l’organisation actuelles et futures et l’évaluation des risques professionnels induits par le projet, le CSE, défendu par le Cabinet DELLIEN ASSOCIES, a assigné en justice les sociétés de l’UES afin d’obtenir ces informations et de voir prolonger son délai de consultation. La Direction a décidé de suspendre son projet dans l’attente de la décision et n’a donc pas prononcé les licenciements prévus initialement le 5 mars 2023.
Par jugement du 22 mai (aujourd’hui définitif), le Président du TJ de Nanterre a :
- déclaré le CSE recevable en considérant que le délai de consultation était bien de 2 mois;
- ordonné la communication de nombreuses informations manquantes (dont l’organisation future du travail et du fonctionnement des services, l’évaluation de la charge de travail actuelle et future des salariés et des risques professionnels) ;
- et prolongé d’un mois, à compter de la remise des informations, le délai de consultation.
La Direction a transmis quelques documents fin juillet 2023. Ces informations étant toutefois insuffisantes, le CSE, a, le 14 août, de nouveau agi en justice pour solliciter la production des informations manquantes et faire reconnaître que le délai d’un mois octroyé par le jugement du 22 mai n’avait pas commencé à courir.
Malgré cette action, la Direction a cette fois-ci lancé les son projet, comptant licencier les salariés dès le 28 septembre. Le CSE a alors assigné l’UES pour demander la suspension du projet dans l’attente de la décision à intervenir concernant les documents manquants. Il a obtenu gain de cause le 27 septembre 2023 et la Direction n’a pu procéder aux licenciements.
Quant à la décision relative aux demandes d’informations, elle a finalement été rendue le 24 janvier 2024. Elle enjoint une nouvelle fois à l’UES de fournir notamment la description précise de l’organisation future du travail, l’évaluation de la charge de travail actuelle et future des salariés concernés, le DUERP mis à jour dans le cadre du projet, tout en rappelant que le point de départ du délai d’un mois fixé par le jugement du 22 mai 2023 court à compter de la remise des informations.
Ce qu’il faut retenir de ces 3 décisions :
- dans le cadre d’un projet important ayant donné lieu à expertise, le délai de consultation du CSE est de 2 mois même si le projet emporte un licenciement de moins de 10 salariés (confirmation de la jurisprudence obtenue par le Cabinet DELLIEN ASSOCIES en 2021 dans le cadre d’un licenciement de moins de 10 salariés envisagé) ;
- l’employeur assigné en procédure accélérée au fond par un CSE demandant la communication d’informations et la prolongation de son délai de consultation est tenu de suspendre son projet dans l’attente de la décision du juge ;
- l’employeur ne peut se contenter de communiquer des informations floues et parcellaires sur son organisation actuelle et future, cette organisation impactant l’évaluation de la charge de travail des salariés et doit également transmettre le DUER mis à jour dans le cadre du projet.
Les six salariés concernés par le licenciement, qui devaient être licenciés le 6 mars 2023, sont aujourd’hui toujours en poste. Affaire à suivre.
Jug. TJ Nanterre, 22 mai 2023, n°23/00573